Marie-Hélène Arsenault
Mme Marie-Hélène Arsenault, d’Abram-Village, est née en 1924 dans le village de St-Philippe, situé dans la paroisse de Baie-Egmont. Il y a quelques années, elle décidait de consigner par écrit des souvenirs de son enfance et de sa jeunesse. Le texte ci-dessous est composé d’extraits de ces souvenirs tels que compilés par Georges Arsenault.
La pauvreté, on l’a si bien vécue que j’ai pensé d’écrire sur ça pour jamais que ça soit oubliée. Je me souviens d’avoir été m’asseoir au poulailler attendre pour l’oeuf qu’on divisait entre moi et mon frère Arsène, plus jeune que moi.
On était huit de famille et on avait juste quelques poules et un cheval. Le cheval, fallait l’avoir pour se rendre à l’église à travers du mocauque1. Un beau samedi matin, maman dit à ma soeur Madeleine : «Marie-Hélène a pas de manteau pour aller à la messe, demain.» Madeleine de s’en aller en haut dans le grand grenier chercher un manteau tout déteindu pour le virer à l’envers. En premier, elle le lave et là elle me fabrique un manteau. Je vous dit qu’il était beau et j’étais contente. Le lendemain matin, mon frère Étienne attelle le cheval sur la grande traîne avec pas de barreaux autour, et on s’assit dessus pour aller à la messe. Quand je viens pour descendre, mon manteau avait gelé sur moi et c’était tout dur comme de la roche. J’avais pas de choix que de rentrer à la messe comme un robot. Et quand je me levais debout, mon siège restait plein d’eau, et ma soeur ne pouvait s’arrêter de rire et mon frère aussi.
Il y avait des moments tristes, mais on ne perdait jamais courage malgré que nous étions très pauvres. Un soir, vers 11 heures, mon frère Étienne arrive de veiller et il frappe à la porte de la chambre de ma mère et moi. Il dit : «Maman, j’en ai vu de l’argent ce soir. Benoît Cormier avait 90 piastres dans sa poche.» Ma mère de dire : «Nous autres on n’a pas même 90 cents ».
Mes jours d’école étaient mes jours les plus heureux de toute ma vie, je pense. Il y avait les examens, c’est-à-dire les petits concerts de fin d’année. Il y en avait un à Noël aussi, mais là, c’était pour Noël. En juin, on était occupé à décorer dehors. On allait chercher des arbres au bois. On alignait des roches à l’entrée de la cour et on plaçait nos noms sur les roches. Je me rappelle que le curé, père F.-X. Gallant, était venu et on avait fait une lecture. C’est lui qui nous faisait lire. Il dit : «La petite fille en robe jaune, veux-tu nous lire une seconde fois?» Cette petite fille c’était Marie-Hélène. J’étais enchantée. Une autre fois, j’avais chanté en tenant deux poupées, et j’avais été tellement applaudie. Quels beaux souvenirs! Une institutrice de qui j’ai beaucoup appris était Rosie Arsenault, maintenant Gaudet. Elle demeure aujourd’hui à Montréal. C’est elle qui m’a donné le goût de faire des petits concerts.
Voici une chanson que j’avais chantée à l’école pendant que tante Marie enseignait.
Je suis orpheline, donnez-moi du courage,
Car sans pitié je suis abandonnée.
Lorsque j’ai faim et je suis sans ouvrage,
Mon Dieu daignez me faire la charité.
Lorsque j’ai vu mon père dans sa tombe,
Je le voyais pour la dernière fois.
Et que je vois de gros nuages sombres
Qui viennent couvrir l’espérance et la foi.
Je me disais pourquoi pleurer
Il ne reviendra plus.
Je murmurais en consolant ma mère :
Il est heureux, il ne reviendra plus.
Dix jours plus tard, dans un petit village,
Là nous étions sans ouvrage et sans pain.
Un jour bien froid ma mère prit malade
Et dès ce jour elle est morte de froid.
Je pleurais sans silence,
Je demandais à Dieu de venir me chercher.
Vaut mieux mourir que vivre sans espérance
Car vous voyez, je suis abandonnée,
Car vous voyez, je suis abandonnée.
Rien n’est plus beau que les amitiés qui se développent à l’école et qui durent. Même s’il y a plus de 70 ans que Zita Gallant (née Cormier) et moi avons fréquenté ensemble la petite école de Saint-Philippe, on s’en parle encore de nos jours.
Pendant les années 1930, c’est sûr qu’on n’avait pas grand-chose et pas grands friponneries. Une journée, on s’est dit qu’on aimerait du sucre à la crème. On n’avait pas d’argent, mais on avait des poules qui pondaient. Plusieurs de nous, les jeunes des voisins aussi, on a attendu à ce qu’on ait une douzaine d’oeufs et on a attelé le cheval sur le truck wagon et on va au magasin chez Howard Yeo acheter du sucre jaune avec nos oeufs pour nous faire du fudge. Je pense qu’on avait eu au moins cinq livres de sucre, donc on a mangé du fudge à se contenter. C’était Lucie à Antoine à Pierre Gallant qui faisait du bon fudge.
Pendant mon enfance, je me souviens d’avoir couru la Mi-Carême pour aller chez Antoine à Pierre où la bonne Joséphine nous donnait des belles galettes au sucre toutes dentées autour, et avec un raisin au milieu. C’était très bon. Une fois, à la Mi-Carême, mon frère Tilmon s’avait caché en haut dans le petit grenier tandis que personne était à la maison le soir. Quand on a arrivé de veiller – dans ce temps-là on ne barrait pas les portes, je pense qu’il y avait pas de voleurs, ou il y avait rien à voler – on entre et on allume la lampe et on entend quelqu’un marcher en haut. Tout le monde sort et court chez le voisin. Qu’est-ce qui était le plus drôle, c’est qu’il courait derrière nous, Tilmon, et il riait à se défaire. Rendus chez le voisin, on a raconté notre histoire en le regardant rire et là on s’est aperçu que c’était une de ses farces.
Dans les années 1930, il y avait pas grand monde qui avait des cars, surtout des trucks. Mais Arcade à Jos Mocauque était, je crois, le premier à en avoir un dans les alentours. Un dimanche après-midi, il arrive à la maison et dit : «Ma tante Émilienne, venez-vous prendre une drive avec les enfants?» Tout le monde sautait de joie et était vraiment content d’aller dans un car. Donc ma mère embarque en avant avec Arcade et Madeleine et nous autres, tous les enfants, en arrière. Je vous dis que c’était vraiment une fête pour nous autres. On a conté ça aux enfants à l’école le lundi et je vous dis qu’ils pensaient qu’on était chanceux. On avait été jusqu’à Richmond.
Je me souviens des noces et de la manière que ça se passait. Quand on entendait dire qu’un jeune homme avait fait la demande, ça voulait dire qu’il y aurait des noces bientôt. C’était presque toujours le mercredi matin à 8 heures. Ma soeur Toinine, elle s’avait frisé les cheveux avec des petits papiers et pendant le messe, la fille suivante, Imelda Cormier, lui ôtait les papiers qu’elle avait oublié d’ôter. Il y avait le déjeuner chez la mariée, le dîner parfois encore chez la mariée et le souper chez le marié, car c’était là qu’ils allaient coucher.
Sur le sujet des noces, quand Benoît Cormier et Délina Arsenault se sont mariés, ils ont décidé d’au lieu d’avoir une noce qu’ils iraient en visite au Nouveau-Brunswick chez de la parenté. Quand ils arrivent chez leur oncle, ils ont bien vu qu’il y avait point de chambre réservée pour eux. À l’heure de se coucher, il y en avait trois ou quatre couchés dans la même chambre qu’eux! C’était toute une honeymoon. Délina a jamais dit combien longtemps qu’ils ont visité, mais je crois juste quelques jours.
Dans le temps, on n’avait pas grand-chose à donner comme cadeau de noces, pas d’argent pour en acheter non plus, donc cette bonne dame de St-Philippe avait donné trois bouteilles de confiture aux petites fraises. Je suis certaine que ç’a été apprécié parce que, comme vous savez, des petites fraises c’est délicieux.
Je me souviens qu’on regardait dans les livres et on voyait des filles blondes. Moi, je voulais toujours être une blonde. Un jour, je dis à ma soeur Madeleine : «Tu sais, du soda dans la mélasse ça vient jaune. Pourquoi pas dans les cheveux?» Elle me dit qu’il faudrait aussi mettre du vinaigre. Me voilà dans le vinaigre et le soda à ma mère. Je m’emplis la tête. Ma mère avait besoin de m’envoyer chez le voisin, donc quand elle me le demande, sans penser à ce que j’avais dans les cheveux, j’y vais. À mon arrivée là, tout le monde me regarde et rit à savoir quoi en faire. Je me demande qu’est-ce qu’ils ont à rire? J’ai envie de pleurer. Un d’eux me dit : «Marie-Hélène, qu’est-ce qui a fait tourner tes cheveux blancs?» Là, j’étais encore moins grosse car j’avais très honte. C’est vrai que le soda et le vinaigre avaient travaillé. J’ai dit que plus jamais je voulais devenir une blonde.